Alcatel, sauvé par France Telecom?

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Alors que France Telecom pourrait venir à la rescousse d'Alcatel, le sort de l'équipementier est révélateur du manque de vision de notre pays dans le domaine des technologies de l'information et de l'écosystème Internet.

Alcatel-Lucent a obtenu récemment une ligne de crédit de 1,615 milliards d'euros de la part du Crédit Suisse et de Goldman Sachs.

Seul hic, cette ligne de crédit a été accordée en échange d’une hypothèque sur ses brevets, l'un des principaux actifs de la société.

Pour éviter cela France Telecom pourrait racheter une partie des brevets d'Alcatel ainsi que son activité de câbles sous-marins: selon le quotidien Les Echos, cela ne rapporterait que 100 à 150 millions d’euros alors qu’Alcatel dépense chaque année 700 millions d’euros.

Le véritable problème du cas Alcatel réside dans la méconnaissance de la part des politiques et des industriels de la révolution que nous sommes en train de vivre.

Les technologies de l’information seront la base de toute l’économie dans les prochaines années, comme les machines à vapeur l’ont été au XIXème siècle.

Hors dans ce domaine la France et l’Europe sont totalement hors jeu: nos pays sont en passe de devenir sous-développés, rien de moins!

Alcatel est un bon exemple de la déliquescence européenne et française.

Par exemple alors que l’industrie européenne dominait le secteur de la téléphonie mobile à l’époque du GSM (un standard imaginé par les européens) avec des acteurs tels qu’Alcatel, Siemens, Ericsson et Nokia, l’arrivée de la 3G basée sur le standard américain CDMA a redistribué les cartes.

Les principaux fournisseurs d’infrastructure sont désormais chinois et américains, idems pour les terminaux et smartphones.

Alcatel qui fabriquait des téléphones mobiles (une activité déficitaire) a laissé tomber alors que c’est aujourd’hui la vache à lait de nombreuses sociétés telles qu’Apple (et surtout une base de commercialisation importante pour tous les services vendus sur Internet: voir Amazon, Apple...D'où la nécessité d'avoir une vision globale à l'échelle d'un pays).

Dans le domaine des réseaux d’entreprise basés sur les technologies IP, Alcatel a été l’un des pionniers pour distribuer les solutions de Cisco (qu’il a failli racheter) mais n’a pas su investir et développer suffisamment rapidement ses propres solutions dans ce domaine (trop tardivement et avec peu de moyens).

Alcatel n'a pas su réaliser une transition assez rapide de son activité de téléphonie d'entreprise vers celle des données et de l'IP.

De plus, Alcatel n’a pas su développer assez fortement ses parts de marchés sur des sous-secteurs du marché entreprise en forte croissance comme le stockage, la sécurité…

La compagnie a cependant racheté intelligement un peu plus tard de nombreuses entreprises dans l'IP mais toutes d'origine nord-américaine (preuve du déficit crucial d'innovation des européens dans ce domaine): Xylan, Packet Engines, Genesys (une pépite mais revendue l'an passé), Newbridge...

Aujourd’hui on parle de vendre cette division entreprise alors qu’elle devrait être au contraire le moteur de la relance d’Alcatel: les entreprises devront en effet investir sans cesse pour s’équiper en solutions de réseaux, stockage, sécurité (et les entreprises sont toujours le moteur de la croissance économique).

On parle aussi de revendre l’activité fibre optique d’Alcatel alors que la société est un leader mondial dans ce domaine. En bref, on veut revendre les bijoux de famille.

Quant aux infrastructures de téléphonie fixe, de réseaux filaires, Alcatel avait une énorme carte à jouer avec l’ADSL: Alcatel a été en effet au coeur des développements technologiques dans ce domaine (et c'est rare qu'une société française lance à ce point une technologie).

Le rachat de Lucent a plombé les comptes et déplacé le centre de gravité aux Etats-Unis

La vache à lait de ces brevets aurait pu permettre (sans le rachat de Lucent) de réinvestir cette manne qui a été utilisée pour éponger les pertes de la fusion.

Le rachat de Lucent, très déficitaire, a été un mirage car l’objectif premier d’Alcatel aurait du être de développer des infrastructures IP à l’image de Cisco, domaine dans lequel Lucent était à la peine.

D'ailleurs depuis le rachat de Lucent en 2006, le résultat d'exploitation de la compagnie est déficitaire et la dette a explosé du fait du coûts des pensions de Lucent notamment (comme dans toutes les sociétés américaines, les pensions des retraités sont un coût énorme).

Certes le rachat de Lucent a permis de s'emparer des brevets des Bell Labs: mais s'agissait-il d'un pot de miel, ces brevets étant trop stratégiques aux yeux des américains?

Lucent a de fait pris les reines de l'entreprise: «avant la fusion, sur 17 personnes qui dépendaient du Directeur Général, 10 étaient en France, 2 aux US, 2 en Belgique, 2 en Chine, et 1 en Grande-Bretagne. Dorénavant sur 10 personnes, une fois le directeur financier et le responsable de la division réseau installés aux US, il n’y en aura plus que 3 en France et 4 aux Etats-Unis (voir Qui veut la peau d'Alcatel).»

Alcatel aurait pu être un champion de la rentabilité en identifiant à l’avance des secteurs porteurs qui étaient bien connus il y a quelques années déjà: son objectif aurait du être de devenir N°1 européen dans les réseaux d’entreprise, le stockage, la sécurité, le datamining, la VOIP, les standards de téléphonie mobile de 4ème 5ème génération, capitaliser sur sa forte position dans le domaine de l’optique, investir dans les logiciels desktop et serveur, call center (ce qu'elle a fait avec Genesys qui a été revendue depuis, Alcatel préférant vendre ses divisions les plus rentables!), CRM…?

Mais tout cela ne peut se faire sans une certaine stratégie industrielle de la part d'une entreprise et d'un pays.

D'ailleurs plutôt que de tout faire la société aurait du essaimer et investir dans de multiples start-ups pour créer un écosystème, à l'image de ce qui se fait aux Etats-Unis (l'innovation étant optimale dans des équipes de moins de 10 personnes).

La France va-t-elle laisser passer la révolution de l'information?

A l’image des politiciens européens, Alcatel a manqué de vision alors que paradoxalement ses ingénieurs sont incroyables et parmi les meilleurs au monde.

Espérons que la France, Alcatel et les autres acteurs high-tech comprennent qu’une révolution technologique, si elle n’est pas maitrisée, conduit à un appauvrissement généralisé (ce que l’on est en train de vivre).

C’est toute la différence entre des pays sous-développés et des pays développés, entre une société rentable et en déficit.

Alcatel est à ce titre, un miroir de l’économie française toute entière: sans une société d’entreprises dynamiques, leaders dans des secteurs de haute technologie, la France s’appauvrira.

Sans une société du savoir qui dépose des brevets cruciaux dans des technologies clés, pas d’espoir.

Sans une maitrise du capital des entreprises et des banques (une différence fondamentale de la France par rapport à l’Allemagne), autant abandonner.

Il s’agit là d’un problème global de société, de compréhension du monde dans lequel nous vivons: l’informatique et ses sous-domaines sont les infrastructures de base de toute l’économie, comme la maitrise du capital et des savoirs.

En ne maitrisant pas ces bases, il est difficile de bâtir les couches supérieures qui feront l’économie de demain comme l’écosystème Internet, les biotechnologies, le datamining évolué...

Alcatel n'a sans doute pas besoin d'aide des opérateurs mais plutôt d'un changement de mentalité de leur part et des politiciens: la France et les pays européens devront maitriser l'ensemble de l'écosystème Internet au XXIème siècle (réseau, logiciels, terminaux, datamining, moteur de recherche, ecommerce, réseaux sociaux, encyclopédie en ligne...) sous peine d'être marginalisés.

Nous sommes malheureusement déjà en voie de sous-développement dans ces différents domaines!